1) Le terrain de jeu de nos ancêtres chasseurs cueilleurs
L'humanité a vécu exclusivement en sociétés de chasseurs cueilleurs pendant plus de 99% de son histoire : depuis l'évolution du genre homo, il y a environ 2,5 millions d'années jusqu'à l'apparition de l'agriculture il y a seulement 12 000 ans environ. C'est cette longue période qu'on appelle le paléolithiqueDurant cette période, les chercheurs estiment que nos ancêtres vivaient le plus souvent toute leur vie sur un territoire de quelques centaines de kilomètres de rayon maximum [2]. Chasseurs cueilleurs, ils se déplaçaient fréquemment à la recherche de nouvelles nourritures. Leur mode de vie était une forme de nomadisme avec un caractère cependant relativement local, en comparaison des possibilités touristiques actuelles.
Lorsque l'espère homo sapiens s'est répandue sur la planète à partir de l'Afrique, elle a progressé en migrant de proche en proche au gré des générations et de la formation de nouvelles tribus qui recherchaient de la nourriture et de nouveaux espaces vierges pour y vivre.
L'espèce homo Sapiens, à laquelle nous appartenons tous aujourd'hui, est apparue en Afrique Orientale il y a environ 200 000 ans. Elle s'est implantée progressivement ensuite sur tout le continent actuel de l'Afrique, de l'Europe et de l'Asie, puis en Australie, il y a 45 000 ans et en Amérique il y a 16 000 ans.
Les hommes qui nous ont précédé ont exploré le monde bien avant nous, à leur façon. Ils avaient une connaissance aiguë de la nature qui les entourait et qu'ils arpentaient toute leur vie. Leurs sens et leurs capacités physiques étaient particulièrement affûtés par rapport aux nôtres.
Néanmoins, chaque individu ne pouvait faire le tour de la planète et visiter tous les continents au cours de sa vie, comme cela est possible aujourd'hui. Leurs connaissances, leurs cultures et leurs représentations du monde étaient certainement très différentes des nôtres. Elles nous demeurent malheureusement relativement inaccessibles aujourd'hui, si ce n'est au travers des peintures et objets retrouvés sur des sites préhistoriques.
2) La place des bébés dans ces tribus de chasseurs cueilleurs
A cette époque les hommes vivaient de manière nomade, et les bébés suivaient les mouvements de leurs tribus.Les mère solitaires ne pouvaient guère trouver assez de nourriture pour leur rejeton et pour elle-même. Élever des enfants nécessitait l'aide constante des autres membres de la tribu. L'évolution favorisa ainsi celles et ceux qui sont capables de nouer de robustes liens sociaux.
Aujourd'hui le modèle de la famille nucléaire et son avatar, suite à un divorce ou à un décès, de la famille monoparentale, entretient le mythe de la mère en charge "par nature" d'élever ses enfants quasiment à elle seule. Mais en réalité et depuis la nuit des temps, il faut une tribu pour élever un enfant. Ou comme le dit une variante africaine plus récente : "Il faut tout un village pour élever un enfant". Nos villes modernes y parviennent-elles mieux aujourd'hui ? Tant de monde s'y côtoient en effet mais une nouvelle forme de solitude est aussi apparue au sein de nos sociétés modernes et des grandes villes en particulier.
L'espacement des naissances pour une femme étaient en moyenne de 3 à 4 ans. Trop de bébés et de petits enfants qui ralentissent la tribu et requièrent beaucoup d'attention aurait été un fardeau pour nos ancêtres fourrageurs nomades.
Des mécanismes culturels permettaient le contrôle des naissances : les femmes ne cessaient d'allaiter leurs enfants qu'à un âge avancé (donner le sein réduit sensiblement le risque de tomber enceinte) et il existait aussi d'autres méthodes : abstinence totale ou partielle (étayée peut être par des tabous culturels), avortement et à l'occasion infanticide. A ces mécanismes culturels s'ajoutaient également les mécanismes naturels (hormonaux et génétiques) qui aident à contrôler la procréation chez l'homme, comme d'ailleurs chez beaucoup d'autres mammifères : en période faste, les femelles arrivent à la puberté plus tôt, et leur chance de tomber enceintes sont un peu plus plus grande. Dans les périodes sombres, la puberté tarde, la fécondité décroît.
La population mondiale d'homo sapiens est estimé à 500 000 individus il y a 100 000 ans et à un peu plus d'un million d'habitants seulement il y a 12 000 ans, à l'aube de la première révolution agricole.
Quand on y pense, n'importe quel grande métropole aujourd'hui, compte davantage d'habitants que toute l'espèce humaine répartie sur la planète à cette époque !
3) Le monde rétréci et plus pénible des premiers agriculteurs
Les hommes ont commencé à se sédentariser avec l'apparition de l'agriculture il y a environ 12 000 ans. Le blé fut une des premières plantes domestiquée, à moins que ce ne soit d'ailleurs plutôt le blé qui ait domestiqué l'homme ? comme nous invite, avec une certaine provocation, à y réfléchir Yuval Noah Harari.L'abandon du nomadisme permit aux femmes d'avoir un enfant chaque année, et la population humaine de croître plus vite.
Les bébés étaient sevrés plus tôt, puisqu'on pouvait les nourrir de bouillie et de gruau. On avait terriblement besoin de mains supplémentaires aux champs mais les bouches supplémentaires eurent tôt fait d'engloutir le surplus alimentaire, obligeant à cultiver de nouveaux champs.
La mortalité infantile monta en flèche : les campements et villages favorisaient les épidémies, la nourriture des sédentaires était moins variée que celles de leurs ancêtres chasseur cueilleur, les enfants étaient moins nourris au sein et devait disputer leur bouillie à toujours plus de frères et sœurs. Dans la plupart des sociétés agricoles, au moins un enfant sur trois mourrait avant d'atteindre ses vingt ans. L'espérance de vie des adultes, a diminué également du fait de ces changements de conditions de vie, en particulier pour les femmes qui mourraient souvent des suites de couche.
Mais la natalité continua d'augmenter plus vite que la mortalité, de sorte que la population pu croître plus vite qu'avant et atteindre environ 20 millions d'habitants il y a 7000 ans.
Cette augmentation de la population globale et de la masse totale de nourriture disponible ne fut cependant pas synonyme d'un progrès dans la qualité de vie des cultivateurs par rapport à leurs ancêtres chasseurs cueilleurs. C'est même plutôt l'inverse.
Les conditions de vie de nos ancêtres sédentaires se sont sensiblement dégradés sur de nombreux plans par rapport à celles des nomades qui les ont précédé : alimentation moins variée, risques de maladie accrus, augmentation du temps de travail, tâches quotidiennes moins intéressantes et pour lesquels le corps était moins bien préparé, etc.
Et les choses ne sont pas vraiment arrangé par la suite, car la révolution agricole a favorisé l'émergence de chefs, seigneurs de guerre puis monarques, et de leurs armés, qui se sont mis à exploiter la majorité des peuples agriculteurs en l'échange de leur protection, quand ils ne les soumettaient pas purement et simplement à l'esclavage.
D'où l'une des conclusions, volontairement provocatrice, de Yuval Noah Harari, que la première révolution agricole est peut être "la plus grande escroquerie de l'histoire". Elle a en effet entraîné d'une certaine façon le malheur de millions d'individus pendant des millénaires, et elle a permis l'émergence d'une grande inégalité entre les hommes, qui s'est perpétuée ensuite jusqu'à notre époque, sous le règne du capital.
D'un autre côté, elle apparaît aussi aujourd'hui au regard de l'histoire comme une étape nécessaire qui a permis par la suite la révolution scientifique et le développement de la complexité du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui.
4) Le désir de parcourir le monde
Nous avons tous des ancêtres qui ont été nomades et d'autres qui ont été sédentaires, même si à l'échelle de l'évolution génétique, nos gênes ont été principalement façonnés par le mode de vie nomade qui a régné pendant tout le paléolithique.Cependant les mécanismes culturels sont au moins aussi importants que les mécanismes génétiques pour comprendre l'évolution des sociétés humaines et leurs aspirations. Notre espèce se caractérise en effet par notre capacité à adhérer à des mythes collectifs très divers et qui changent eux-même très rapidement en comparaison des mécanismes génétiques. Comme l'explique très bien Yuval Noah Harari, les choses les plus importantes au monde n’existent que dans notre imagination.
Insistons d'ailleurs au passage sur le fait qu'il n'y a pas de cultures immuables, du point de vue des scientifiques et des spécialistes qui les étudient. Celles-ci se sont toujours croisées et influencées énormément mutuellement. Même au sein de petites îles ou territoires fermés, les cultures humaines évoluent rapidement et ne restent pas immuable de génération en génération.
De nos jours, certains courants politiques haineux ont remplacé dans leurs discours le racisme pur et simple, scientifiquement et politiquement invalidé au cours du siècle dernier, par un "culturalisme" qui tente de monter les peuples les uns contre les autres, au prétexte d'une soi-disant pureté ou supériorité culturelle. Il s'agit d'une idée évidemment fausse, mais qui peut encore faire des ravages et entraîner de nouvelles guerres si l'on n'y prend garde.
Au cours des dix milles dernières années, une grande partie des cultures qui nous ont précédé ont valorisé la sédentarité. Des cultures nomades ont cependant toujours persisté à côté des sédentaires plus nombreux.
Le nomadisme a pris aussi de nouvelles formes avec le commerce, la religion et l'impérialisme, de sorte que des sociétés dont plus de 90% des individus étaient des agriculteurs sédentaires, se sont mis à cohabiter avec des nouveaux nomades : commerçants, missionnaires religieux ou guerriers.
Cependant ces formes de nomadismes devaient probablement rarement s'embarrasser de petits enfants au cours de leurs voyages (à part peut-être certaines cultures commerçantes).
Il y a environ 500 ans, une nouvelle forme de nomadisme a émergé avec la révolution scientifique et les explorations lointaines des peuples d'Europe. Pour la première fois dans l'histoire des empires et des nations, il n'était pas seulement question d'explorer les contrées limitrophes de son territoire ou d'étendre son périmètre proche. L'appétit du gain (et les délires de l'argent), mais aussi la soif de nouvelles connaissances ont joué un rôle concomitant qui ont permis les grandes expéditions européennes et finalement les migrations qui ont façonné le nouveau monde.
Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, des hommes se sont mis en tête de parcourir le monde et d'en faire même le tour. Mais ces grands voyages étaient très dangereux à cette époque. La moitié des équipages mourrait souvent pendant les traversée, quand les navires ne sombraient pas purement et simplement. On peut raisonnablement émettre l'hypothèse que les bébés étaient rarement associés à ces grandes expéditions et que les quelques uns qui l'étaient devaient probablement périr en route.
Ces différentes formes de nomadismes répondaient à leurs propres logiques et mythes, différents de ceux des nomades chasseurs cueilleurs du paléolithique, et différents de ceux qui nous animent aujourd'hui.
Mais alors d'où nous vient notre propre désir de parcourir le monde ? L'histoire nous apprend que le nomadisme a pris des formes variées en lien avec les mythes et croyances des cultures humaines qui nous ont précédé.
Dès lors, pour mieux comprendre la provenance de notre désir actuel de parcourir le monde, y compris avec nos enfants, il sera intéressant de nous pencher, dans un prochain article, sur l'origine des mythes partagés au sein de nos sociétés qui favorisent la grande tendance du tourisme (plus d'un milliard de touristes internationaux en 2015).
Références
[1] 2015 "Sapiens - une brève histoire de l'humanité" de Yuval Noah Harari et en particulier les pages 109 et 111
[2] UISPP / IUPPS 2009 - François Djindjian Janusz Kozlowski Nuno Bich Le concept de territoires dans le Paléolithique supérieur européen, Vol.3, Session C16